Le droit local, un ersatz de statut local ?

Le Reichsland Elsass Lothringen disposait, surtout à partir de la Constitution de 1911, d’un statut de large autonomie, même si ce statut restait à bien des égards insatisfaisant voire frustrant. En 1918, ces territoires retournaient au système centralisé français. Les demandes d’attributions d’un statut d’autonomie ont été repoussée comme illégitimes par le pouvoir national. Seul le droit local a pu être conservé de la période antérieure pour exprimer les spécificités et les traditions de la région.

En fait, peu d’éléments du droit local justifient intrinsèquement une telle valorisation. Si le droit local est, à juste titre, ressenti comme une expression culturelle de l’identité régionale, il ne constitue à certains égards qu’un ersatz d’une autonomie d’une autre épaisseur que l’on n’a pas réussi à conserver ou que l’on n’a jamais su acquérir. Il n’est cependant pas tout à fait inexact de voir dans ce droit régional une source de pouvoir local, même si les instances de décision relatives à ce droit se situent au niveau central. En effet, grâce à l’épais halo de mystère qui entoure beaucoup de dispositions locales, seuls les experts locaux de ce droit savent vraiment le manipuler; même pour les matières locales qui sont suffisamment transparentes, les nécessités de la spécialisation font que la gestion de ce droit ne peut pratiquement se faire sans une participation active des représentants de ses usagers locaux. Sauf pour rayer d’un coup de plume certains de ses éléments, les instances « parisiennes ». qui préparent le travail législatif et gouvernemental sont, qu’elles le veuillent ou non, plus ou moins livrées aux explications et aux expertises des spécialistes locaux des différentes branches du droit local. Cette constatation explique pourquoi les efforts « d’harmonisation » ne constituent pas un objectif très attirant pour de nombreux tenants du droit local, même lorsque cette harmonisation se traduit, non par l’extension du droit général français aux trois départements mais, inversement par l’extension des solutions du droit local à l’ensemble du territoire national, ce qui ne constitue d’ailleurs nullement une hypothèse théorique, beaucoup de règles locales ayant effectivement inspiré des réformes du droit général. L’harmonisation, même par extension du droit local, se traduit en fin de compte par un transfert de pouvoir d’influence de la province à Paris.

Comment pourrait-on faire sortir le droit local de cette fonction d’ersatz pour lui donner une portée plus réelle ? Le plus grand intérêt du droit local c’est « l’idée même » de droit local plus que son contenu actuel, c’est le fait qu’il témoigne concrètement du fait que sur des sujets importants, on peut déroger à la règle du traitement uniforme sans que pour autant la République ne s’écroule ; au contraire il peut être plus satisfaisant et plus efficace que les règles s’adaptent à la réalité régionale. Le droit local, c’est en quelque sorte une invitation à penser autrement, à découvrir que la diversité n’est pas l’ennemi de l’unité et qu’elle peut même renforcer la fraternité. Une législation locale est possible ! Alors pourquoi ne pas la faire évoluer ?

Il faudrait que le droit local devienne un véritable droit régional susceptible de se réformer et se redéployer en fonction des initiatives locales. On peut esquisser ce que pourraient être les termes d’une telle redéfinition du droit local dans le sens d’un statut moderne. Pour transformer le droit local en véritable statut territorial, deux modifications seraient principalement à opérer ; on peut les résumer en deux concepts : « rapatriement » et « redéploiement » :

– Pour moderniser le droit local, il s’agirait de transférer vers les trois départements une part des pouvoirs normatif actuellement concentrés à Paris. On a vu que le droit local alsacien-mosellan est un droit national d’application géographique limité. Pour régionaliser cette législation locale, il faudrait donner une compétence normative directe ou indirecte à des organes régionaux ou locaux. Dans le cadre constitutionnel actuel, la décentralisation d’une compétence normative à des instances décentralisées en matière de droit local n’est pas aisée à opérer mais plusieurs mécanismes permettent cependant d’aller dans ce sens d’une manière plus ou moins prononcée.

– On a vu que certaines règles de droit local ne survivent qu’en raison de leur fonction d’ersatz d’un véritable statut d’autonomie territoriale. A défaut de pouvoir s’exprimer dans les domaines qui les intéressent, les populations locales se raccrochent à des dispositions sans intérêt réel, mais qui leur permettent d’exprimer de manière « emblématique » quoique inadéquate leur volonté de sauvegarder leur identité régionale. Il faudrait pouvoir exprimer cette identité dans les domaines qui ont un intérêt réel et où existent des spécificités véritables à prendre en compte Il s’agirait donc de recentrer le droit local sur les domaines où il aurait une signification régionale culturelle, sociale ou institutionnelle véritable : l’organisation territoriale dans le sens initié par la création de la collectivité unique ; la promotion de la langue régionale ; la communication audio-visuelle ; la formation professionnelle ; la coopération transfrontalière ; la mise en valeur du patrimoine et des spécificités culturelles de la région ; la protection de l’environnement.