Mêmes si les dispositions locales trouvent fréquemment leur origine dans le droit national élaboré à Paris ou à Berlin, la population des trois départements s’en est avec le temps appropriée le contenu au prix d’une réinterprétation. Le droit local a ainsi progressivement bénéficié d’une représentation collective faisant de lui l’expression d’un certain particularisme alsacien et mosellan. Il est perçu comme une sorte de témoignage vivant de l’histoire de la région et a acquis une dimension emblématique.
Les enquêtes d’opinions et sondages montrent que la population des trois départements y est très attachée. Plus de 90 % des personnes interrogées connaissent l’existence du droit local, en ont une opinion positive et souhaitent son maintien. Ceci vaut même pour des matières dont on pourrait penser qu’elles sont controversées, telles que le maintien du Concordat ou l’application du droit local de la chasse.
Sans doute est-ce parce que le droit local constitue un reflet particulièrement significatif de l’histoire troublée et douloureuse de l’Alsace et de la Lorraine, une sorte de témoignage exemplaire des vicissitudes passées de la province, qu’on lui reconnaît une véritable dimension culturelle régionale. On n’hésite pas à utiliser à son sujet un possessif fier et affectueux : « notre » droit local. Il est ainsi perçu comme une propriété de l’Alsace et de la Moselle, l’expression de leur personnalité, la caution de leur intégrité.
Le droit local est ainsi devenu un élément du paysage alsacien, un marqueur de l’identité de la région, un aspect de l’épopée alsacienne dans laquelle se retrouvent tous les alsaciens de cœur. On veut garder le concordat ou les corporations parce que c’est à nous et qu’on ne supporte pas que Paris nous dise que ce n’est pas bien. Et pour justifier l’existence de ce droit, on y projette des valeurs et des qualités dont on voudrait qu’elles soient celles de la région, cette « philosophie du droit local » mentionnée précédemment : ordre, responsabilité, concorde, prévoyance, « humanisme rhénan », autonomie, efficacité. Le droit local devient ainsi un moment de revanche à l’égard de l’intérieur : grâce à lui, nous sommes meilleurs que les (autres) Français. Mais ce besoin de valorisation ne cache-t-il pas une faiblesse. N’est-il pas en creux l’expression d’un manque ?