L’aide sociale de droit local : une composante du dispositif général de lutte contre la précarité et les exclusions
Par Dominique DAGORNE, Juriste à l’Institut du Droit Local

Crise économique et détérioration du contexte social

Avec la crise économique et l’augmentation croissante des situations de chômage et de travail précaire, une montée en puissance des situations de pauvreté s’est faite jour au fil des derniers mois. La détérioration du contexte social a également favorisé les situations d’exclusion de plus en plus fréquentes.

En parallèle ce constat a engendré une activité législative débordante avec une multiplication de réformes et de nouveaux dispositifs censés apporter des solutions durables à l‘épineuse question de l’accroissement de la pauvreté de la population en France. En à peine vingt ans l’instauration d’une Couverture Maladie Universelle (CMU) par la loi du 1er juillet 1999, d’un Revenu Minimum d‘Insertion (RMI) par la loi du 1er décembre 1988, d’une procédure de prévention et de lutte contre le surendettement des particuliers et des ménages par la loi du 51 décembre 1989, d’un droit au logement opposable par la loi du 5 mars 2007, d’une allocation personnalisée d’autonomie par la loi du 51 mars 2005, d’un système de microcrédit par la loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, et dernier en date, d’un Revenu de Solidarité Active (par la loi du 1er décembre 2008) prouve si besoin en est, la
nécessité omniprésente d‘apporter des solutions législatives urgentes aux problèmes de pauvreté et d’exclusion.

Ce phénomène s’illustre tant dans le cadre d’initiatives publiques que d’initiatives menées par des structures privées, essentiellement associatives. Deux articles parus dans les Dernières Nouvelles d’Alsace (DNA du 9 octobre 2009 et 10 novembre 2010) illustrent parfaitement cette situation à l’échelle de la région Alsace.

Les communes, soit directement, soit à travers leur Centre Communal d’Action Sociale (CCAS), sont en première ligne pour mesurer l’impact de la montée du chômage et ses répercussions sur les ressources des plus démunis. Une enquête de l‘Union nationale des CCAS effectuée en 2009 a révélé une hausse importante des appels à l’aide, ainsi qu’un élargissement du public des demandeurs comprenant de plus en plus de personnes en situation professionnelle (souvent en CDD) mais dont les revenus sont trop faibles pour pouvoir faire face aux dépenses de la vie courante, ainsi que des personnes âgées dont la situation se précarise davantage. Cet accroissement de la demande entraine pour les structures d’aide communale la nécessité d’augmenter leurs crédits sociaux pour pouvoir y faire face, mais aussi la recherche d’autres moyens d’étoffer leur budget consacré à l‘aide sociale, à l’image de la commune de Didenheim (Haut-Rhin) qui a décidé de verser au CCAS les recettes des concessions du cimetière communal, ou de celle de Niederbronn-les-Bains (Bas-Rhin) qui organise des cueillettes de pommes au profit des bénéficiaires du CCAS.

Le même phénomène se remarque au niveau des dépenses d’aide sociale des départements qui sont en hausse depuis 2007. Selon les chiffres de l’enquête publiée par la Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques sur les dépenses d’aide sociale départementale en 2007 (DREES, études et résultats n°682, mars 2009), les quatre premiers principaux postes de dépenses (aide aux personnes âgées, aux personnes handicapées, aide sociale à l’enfance et les dépenses afférentes au RMI) ont progressé de 3% en euros constants.

Le même constat de montée de la pauvreté est mis en évidence par les structures d‘aide de droit privé, dont les associations représentent la grande majorité, dont le financement provient essentiellement de dons privés, et dont l’action est rendue possible par l’engagement de nombreux bénévoles. Ainsi en Alsace le Secours Catholique et son réseau Caritas Alsace ont constaté une augmentation de 10% des situations de pauvreté en 2009, mettant en évidence la plupart du temps une extrême faiblesse des ressources ne permettant pas de faire face aux dépenses courantes et encore moins aux dépenses imprévues.

Caractéristiques de l’aide sociale

Le droit général

L‘aide sociale est une des composantes essentielles du système de protection sociale français. Forme d’intervention qui trouve son origine dans un modèle de politique publique, l’aide sociale repose sur l‘idée d’assistance, de secours, d’aide ou de soutien dispensés à certaines catégories de personnes. Participant du principe de solidarité les interventions au titre de l‘aide sociale sont faites sans exiger de contrepartie de la part des bénéficiaires.

C’est dans l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946 que figure aujourd’hui la référence sur le plan juridique en matière d‘aide sociale : « La Nation garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d‘obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »

L‘aide sociale, telle qu’elle est conçue aujourd’hui, est un droit subjectif et alimentaire, fondé sur le besoin. C’est un droit qui prend en compte des besoins spécifiques et qui tente d’y répondre par la mise en place de prestations spécialisées, en nature ou en espèces, qui correspondant à un besoin particulier, chaque forme d’aide sociale étant régie par un statut et un régime juridique spécifique.

Le droit local

Maintien en vigueur

Parmi les dispositions de droit local maintenues en vigueur en 1924 figuraient bon nombre de dispositions d‘origine allemande et plus particulièrement des dispositions à connotation sociale fortement marquée, dont la loi d’empire du 50 mai 1908 sur le domicile de secours et la loi d‘exécution du 8 novembre
1909. Ces deux lois se sont appliquées en Alsace-Moselle à compter du 1er avril 1910, elles instaurent un droit au secours pour tout indigent et prévoient que l‘obligation de venir en aide repose essentiellement sur la commune pour qui la dépense revêt le caractère de dépense obligatoire. Il s‘agissait à l’époque d’assurer un minimum vital à toute personne ne disposant plus de ressources suffisantes, et ce quelles que soient les raisons de leur indigence. L‘aide accordée dans le cadre de ces deux lois d‘empire présentait la particularité d’être « immédiate », essentiellement conçue pour gérer des situations d‘urgence.

Le droit général français de l’aide sociale a été introduit en Alsace-Moselle par le décret-loi du 12 novembre 1958 et quelques modifications à la réglementation locale intervinrent à cette époque (ainsi l’aide médicale de droit local disparut au profit de la réglementation de droit général sur l’aide médicale). La réglementation locale continua cependant à s’appliquer et cette situation de coexistence des deux législations fut confortée par un décret du 25 juillet 1955 (JORF 26 juillet 1955 p. 7478) qui rappelle le maintien en vigueur de la loi du 30 mai 1908 sur le domicile de secours. La crainte de voir supprimer la réglementation locale de l’aide sociale réapparut en 1988, époque à laquelle un projet de loi relatif à la mise en place d’un revenu minimum d’insertion (RMI) fut déposé. Présenté comme un grand bouleversement dans la législation sociale, ce projet n’avait pas le même impact en Alsace-Moselle que dans le reste de la France puisque la législation locale de l’aide sociale envisageait déjà la possibilité d‘accorder une aide aux personnes démunies, l‘aide pouvant être donnée sous forme d’une somme d‘argent ou en nature. Le revenu minimum d‘insertion avait pour objet de donner à chacun les moyens de vivre dignement et de favoriser, par une démarche contractuelle engageant l‘allocataire et la collectivité publique. l’insertion sociale et/ou professionnelle des plus démunis des citoyens. Il s‘inscrivait dans une politique globale de lutte contre la pauvreté visant à faire reculer effectivement toutes les formes de l‘exclusion sociale. L’originalité de cette prestation sociale résidait dans le fait que son attribution était liée à l‘engagement d‘actions d’insertion, contrairement à d’autres pays où un mécanisme de minimum social généralisé était mis en place sans lien avec un engagement d’actions d‘insertion. L’institution au plan national d’un revenu minimum d’insertion ne supprimait pas pour autant l‘intérêt des dispositions locales en Alsace-Moselle puisqu‘ici les bénéficiaires potentiels de l’aide locale restaient plus nombreux, l‘aide étant accordée aux indigents âgés d’au moins 16 ans alors que le revenu minimum d’insertion concernait les personnes âgées d‘au moins 25 ans. De plus certaines collectivités locales accordaient déjà aux bénéficiaires de l’aide locale une somme d‘argent en se fondant sur un seuil minimum de revenus dont le montant s’approchait de celui envisagé pour l‘allocation du RMI. Pour les parlementaires locaux il importait donc à l’époque des discussions sur le projet de loi instaurant un revenu minimum d’insertion d‘affirmer la pérennité des lois du 30 mai 1908 et 8 novembre 1909 sur l‘aide sociale de droit local. Ce fut chose faite avec l‘article 23 de la loi n°88-1088 du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d’insertion (JORF 3 décembre 1988 p. 15119) qui précisait que le versement de l‘allocation RMI était « subordonné à la condition que l’intéressé fasse valoir ses droits aux prestations sociales, légales, réglementaires et conventionnelles, à l’exception… des prestations servies en application des lois des 30 mai 1908 et 8 novembre 1909 dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle ». Ainsi l‘aide sociale locale coexistait avec le RMI. et les dispositions locales continuaient à s’appliquer en étant subsidiaires à l‘aide de droit général, ce qui d‘ailleurs était déjà le cas dans les domaines où le droit général était introduit (personnes âgées. handicapés, famille, aide médicale, enfance ou hébergement et réadaptation).

La codification

Les dispositions de droit local sur l’aide sociale ont été codifiées aux articles L. 511-1 à L. 511-10 ainsi qu‘à l‘article L. 512-1 du Code de l‘action sociale et des familles (CASE). L‘article 220 III de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 ayant par ailleurs abrogé les lois locales du 30 mai 1908 sur le domicile de secours et du 8 novembre 1909 prise pour son exécution, les articles du Code constituent depuis lors la base légale du dispositif local d’aide sociale. L‘article L. 511-10 prévoyait qu’un décret en Conseil d’Etat fixait en tant que de besoin, pour les départements d‘Alsace-Moselle, les mesures d’adaptation des dispositions du Code de l‘action sociale et des familles rendues nécessaires pour l’application du chapitre « aide sociale communale ». À ce jour aucun décret n’est paru mais cela n’empêche pas l’application des dispositions de droit local codifiées puisque le décret ne devait intervenir qu’en cas de besoin.

Ces dispositions viennent compléter les dispositifs mis en œuvre au plan national tel que le rappelle l‘article L.511-1 du CASF ainsi libellé :
« Les dispositions du présent code ne font pas obstacle à l‘application, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, des dispositions du présent chapitre (L. 511-2 et suivants du CASF) ».

Malgré la multiplication ces dernières années de dispositifs législatifs au plan national destinés à régler les problèmes de plus en plus récurrents liés aux difficultés économiques que rencontre une partie de plus en plus large de la population (procédure de surendettement, droit opposable au logement, microcrédit, primes à l’emploi et contrats aidés, et plus récemment la loi n° 2008-1 249 du 1er décembre 2008 généralisant le Revenu de Solidarité Active (destiné à remplacer le RMI) et réformant des politiques d‘insertion), les dispositions de droit local gardent le cap grâce à leur originalité, leur souplesse et le large public qu‘elles visent. De même la subsidiarité des dispositions locales par rapport au dispositif du RMI avait été réaffirmée dans l‘article L. 512-1 du CASF qui dispose que « Le versement de l‘allocation de revenu minimum d‘insertion prévue à l’article L 262-1 n’est pas subordonné à la condition que l’intéressé fasse valoir ses droits aux prestations prévues aux articles L. 511-2 à L. 511-9 ».

Les insuffisances des dispositifs précédents, à savoir le RMI et l‘allocation de parent isolé, notamment dans le domaine de l’insertion professionnelle, ont conduit le législateur à revoir l’ensemble du dispositif en vue de mettre en place un système plus efficace dans les domaines de l’insertion professionnelle et de la lutte contre la pauvreté.

La suppression du RMI et son remplacement par le Revenu de Solidarité Active ne remettent pas en cause ce principe de subsidiarité des dispositions locales puisque l‘article 10 de la loi de généralisation du revenu de solidarité active consacré aux dispositions de coordination prévoit dans son 9° de remplacer à l’article L. 512-1 du CASF les mots « de l’allocation de revenu minimum d‘insertion » par les mots « du revenu de solidarité active ».

L’intérêt de maintenir le dispositif local

Face à un dispositif au niveau national de plus en plus performant, quelle place conserve le droit local de l’aide sociale ? Avec la mise en place du RSA et les dernières modifications en date la réglementation locale a-t-elle encore de beaux jours devant elle ?

Le RSA

Entré en vigueur le 1″ juin 2009, le RSA vient en aide aux travailleurs pauvres en leur offrant des « moyens convenables d‘existence », et en les incitant à exercer une activité professionnelle. Il est versé à des personnes qui travaillent déjà et dont les revenus sont limités. Son montant dépend de la situation familiale et des revenus du travail. Il s’agit d’une prestation en argent versée par les CAF ou les caisses de mutualité sociale agricole. Il permet également
de lutter contre l’exclusion et remplace le RMI, pour les personnes sans activité. Le RSA mise sur une incitation financière à la reprise du travail, un accompagnement renforcé et adapté à tous les publics, l‘obligation pour les allocataires inactifs de rechercher un emploi et la possibilité de cumuler salaires et fractions de prestations sociales pour atteindre un niveau de revenu garanti.

Le RSA, qui remplace le RMI et l’allocation de parent isolé, vise essentiellement à pallier les insuffisances de ces dispositifs dans le domaine de l’insertion professionnelle et de la lutte contre la pauvreté. En place depuis le 1er juin 2009. la question de l‘efficacité réelle du dispositif s’est rapidement posée. Le RSA, qui remplace le RMI et l’allocation de parent isolé, vise essentiellement à pallier les insuffisances de ces dispositifs dans le domaine de l’insertion professionnelle et de la lutte contre la pauvreté. En place depuis le 1er juin 2009. la question de l‘efficacité réelle du dispositif s’est rapidement posée.

Sur le plan de l’insertion professionnelle le RSA rend le retour à l‘emploi plus intéressant pour les allocataires de minima sociaux que tous les dispositifs d’intéressement précédemment imaginés par le législateur, comme par exemple la prime pour l’emploi ou la prime de retour à l’emploi. Selon une étude menée en mai 2008 par deux universitaires du centre d’étude des politiques économiques de l’université d‘Evry, le RSA atteint l’objectif qui lui est assigné de rendre financièrement intéressante la reprise du travail dès la première heure travaillée. ll supprime également les effets de seuil créés par le RMI et offre une augmentation nette du revenu disponible lors de la reprise d‘emploi. Sur le plan de l‘accompagnement dans l‘insertion, dont il est prouvé qu‘il augmente les chances des allocataires de trouver un emploi, le RSA s‘avère bénéfique. Malheureusement l‘efficacité réelle du dispositif du RSA dépend aussi et surtout de l‘état du marché du travail, ce qui implique que l’évolution du marché du travail sera déterminante pour le succès du dispositif. En effet, si le dispositif a permis de créer des emplois. certains d’entre eux n‘ont pu résister à la crise économique.

Sur le plan de la lutte contre la pauvreté le RSA apporte un complément de revenu immédiat aux travailleurs pauvres, il a de ce fait un impact direct sur la hausse du pouvoir d‘achat et la baisse du taux de pauvreté. Selon les estimations près d’un million de personnes devait franchir le seuil de pauvreté après l‘entrée en vigueur de la loi instaurant le RSA. Cependant le dispositif n’aborde pas suffisamment la question du marché du travail et offre de ce fait peu
de garanties sur le long terme. L‘incitation à la création d’emplois précaires est une crainte légitime que le RSA suscite.

Autre inconvénient de taille : le RSA ne concerne qu’un public limité et exclut toute une catégorie de la population également dans le besoin. En particulier sont laissées de côté les personnes qui ne se manifestent pas sur le marché du travail comme les retraités ou les adultes handicapés. Les jeunes adultes (de 18 à 25 ans) étaient également exclus du dispositif du RSA, reprenant sur ce point les conditions d’âge pour percevoir le RMI. Etant donné que les personnes âgées de 18 à 25 ans forment aujourd’hui la catégorie de la population dont le taux de pauvreté est le plus élevé (près de 17% des jeunes sont pauvres) et que le taux de chômage chez les jeunes est deux fois supérieur à la moyenne, cela implique que le RSA assure une lutte inégale contre la pauvreté.

Cette injustice semble réparée à présent avec l‘instauration d’un « RSA jeunes » par le décret n°2010961 du 25 août 2010 relatif à l‘extension du RSA aux jeunes de moins de vingt cinq ans à compter du 1″ septembre 2010. Il faut cependant que le jeune ait travaillé à temps plein pendant deux ans sur une période de trois ans, soit 5214 heures, période pouvant être prolongée de six mois pour ceux qui ont connu des périodes de chômage indemnisé. La loi de finances pour 2010 a imputé au Fonds national des solidarités actives la totalité du financement de cette mesure pour 2010.

Pour permettre d’accroître l’efficacité du RSA un certain nombre de mesures ont été mises en œuvre comme par exemple l‘aide à la mobilité ou à la garde d’enfants.

En Alsace-Moselle, le dispositif d‘aide sociale communale vient grossir les rangs des mesures annexes participant à la lutte contre la pauvreté.

L’aide sociale communale de droit local

Appliquées de façon inégale sur l‘ensemble du territoire alsacien-mosellan, les dispositions locales sont plutôt mises en œuvre dans les communes urbaines où se concentre plus particulièrement la population la plus démunie.

Contenu du dispositif local

L‘article L 511-2 du code de l’action sociale et des familles dispose que l‘aide doit être accordée par la commune « à toute personne dénuée de ressources », âgée de plus de seize ans et qui en fait la demande. Il n’existe aucune condition liée à la nationalité du demandeur. L‘allocation du RSA ayant été étendue dans certaines conditions aux jeunes âgés de 18 à 25 ans, l’aide sociale de droit local garde tout son intérêt pour la tranche d‘âge située entre 16 et 18 ans.

L‘expression « personne dénuée de ressources » utilisée dans l’article L. 511-2 du CASF n’es pas à proprement parlé définie. Il est vrai que par le passé l’absence de précisions quant à la condition d’indigence figurant dans la loi du 30 mai 1908 n’avait pas réellement posé problème et la disparité d‘appréciation d’une commune à l’autre n‘était la plupart du temps que théorique. En effet il s‘est avéré qu’en pratique les conseils municipaux compétents pour fixer le seuil de revenus minimum en-deçà duquel une personne doit recevoir de l‘aide, s’inspirent pour la plupart, du seuil de revenus minimum fixé pour percevoir l‘allocation du RMI (ou du RSA aujourd’hui), même si rien légalement ne les y contraint. Par contre chaque conseil municipal reste libre dans le cadre de la législation locale de définir les ressources prises en compte pour la détermination du montant ou de la nature de l‘aide accordée car contrairement au RMI et RSA, qui consiste à allouer un somme d‘argent, l’aide accordée au titre de la législation locale peut revêtir différentes formes.

Dans cette évaluation des ressources rien n’interdit d’ailleurs aux conseils municipaux de s‘inspirer de l’article L. 132-1 du CASF aux termes duquel il est tenu compte, pour l’appréciation des ressources des postulants à l’aide sociale, de tous les revenus, professionnels ou autres (aides de fait, rentes viagères, prestations de sécurité sociales, etc.). En pratique, les communes d‘Alsace-Moselle vont prendre en compte dans leur évaluation de la situation de dénuement du demandeur les créances alimentaires (en particulier celles fondées sur les obligations familiales) dont il peut se prévaloir.

Dans le cadre de la législation locale la commune compétente est celle du domicile de secours communal (article L. 511-5 du CASE), c‘est-à-dire celle où le demandeur peut justifier d‘une résidence habituelle de trois mois. L‘obligation de la commune de venir en aide aux personnes dénuées de ressources qui se présentent en mairie vise aussi les personnes sans domicile fixe ne pouvant justifier d’un domicile de secours communal.

Le champ d’intervention des aides accordées au titre de la législation locale est très étendu puisque l‘article L. 511-2 du CASE vise tant les besoins du vivant du demandeur (hébergement, entretien, soins) que la prise en charge des funérailles en cas de décès.

Une des caractéristiques de la législation locale de l‘aide sociale réside dans le fait que chaque commune est libre de choisir non seulement l’objet de l’aide mais également la forme de l‘aide qui sera accordée. La pratique est ainsi variable d‘une commune à l’autre en fonction de la volonté et de l’imagination des responsables ainsi que des moyens à disposition. Alors qu’en droit général la plupart des aides consistent en l‘allocation de sommes d‘argent, les aides dispensées en Alsace-Moselle au titre de la législation locale peuvent revêtir des formes très diversifiées. L‘article L. 511-5 du CASE propose quatre types d’aides différentes (secours en nature ou en espèces, placement dans un établissement d’accueil, fourniture d‘un travail ou d‘un accompagnement socio-éducatif, mais cette liste n’est en rien exhaustive tel qu’en témoigne l’emploi du terme « notamment » dans ledit article. De plus chaque commune peut parfaitement décider de combiner différentes formes d‘aides en fonction de la situation personnelle des demandeurs et de leurs besoins et attentes.

Les aides accordées par les communes dans le cadre des dispositions de droit local pour venir au secours des personnes dénuées de ressources représentent souvent un budget important et mobilisent de façon constante les services sociaux compétents, en particulier dans les grandes villes où les phénomènes d‘exclusion et de pauvreté sont plus flagrants. Ainsi la Ville de Strasbourg a pu constater qu’en moyenne ce sont plus de 8000 personnes par an qui bénéficient des aides au titre de la législation locale avec une augmentation significative entre l’année 2007 et l’année 2008 puisque les demandes d’aides sont en augmentation de 12%, les accords d’aides en augmentation de 22% et les montants accordés en augmentation de 35%.

Dès l‘origine la législation locale avait consacré le caractère obligatoire de la dépense d’aide sociale pour la commune. L‘article L. 511-8 du CASF réaffirme le caractère de dépense obligatoire des aides accordées par les communes aux personnes dénuées de ressources en précisant que ces dépenses doivent être inscrites au budget communal. Dans l‘article L. 2543—5 du Code Général des Collectivités Territoriales (situé dans un titre consacré aux dispositions spécifiques aux communes du Haut-Rhin, du Bas-Rhin ou de la Moselle) qui fixe la liste des dépenses obligatoires inscrites au budget communal figurent au 9° « Les dépenses résultant de l’application de la loi locale du 30 mai 1908 sur le domicile de secours ». Le caractère obligatoire des dépenses liées à l‘aide sociale de droit local a pour conséquence d‘imposer aux communes d’Alsace-Moselle des dépenses supplémentaires par rapport à celles incombant aux communes des autres départements. Le défaut d’inscription de cette dépense au budget communal peut provoquer, comme toute dépense de cette nature, une inscription d’office.

C’est sous la forme d’une délibération du conseil municipal que la décision de fixer le montant des sommes destinées à couvrir l‘obligation d‘accorder de l‘aide aux plus démunis est prise. Les communes aux plus faibles ressources peuvent demander une subvention au Conseil général. A notre sens, même si l’aide est confiée par la commune à un CCAS par exemple, la dépense doit être inscrite au budget communal.

Caractéristiques de l‘aide sociale de droit local

L‘aide sociale de droit local présente la particularité d’être transversale : il ne s’agit pas d’une réglementation applicable à une catégorie de personnes en difficulté (comme par exemple les personnes handicapées, les chômeurs, les personnes âgées, les familles monoparentales…), mais bien d’une réglementation concernant un large public sans distinction de catégorie socioprofessionnelle, d‘âge ou d’état de santé. La réglementation locale ne s‘intéresse pas non plus aux raisons pour lesquelles les personnes se trouvent démunies de ressources.

ll s’agit essentiellement d‘une aide d‘urgence, ponctuelle et occasionnelle, qui parc au plus pressé. le temps de réorienter les demandeurs vers des dispositifs plus encadrés et adaptés à leur situation personnelle. En général le conseil municipal ou le CCAS alloue une aide pour une période déterminée (en général un mois), qui peut faire l’objet dans certains cas d’un renouvellement. La ville de Strasbourg par exemple, accorde des secours d’urgence ou de première nécessité, sous la forme de dons versés en espèces. Les secours d‘urgence permettent d‘intervenir en faveur des personnes ou des familles dénuées de toutes ressources lorsque la situation ne permet pas d’attendre la prise de décision par la procédure normale.

Enfin il s‘agit d‘une aide obligatoire sans contrepartie. Dans les lois locales d’origine du 50 mai 1908 et du 8 novembre 1909 l’assistance procurée par la commune à l’indigent était prévue avec une contrepartie qui consistait à exécuter un travail utile à la collectivité. L‘assistance de la commune était susceptible d‘être fournie sous la forme d‘un travail approprié aux forces de l’indigent (Loi du 8 novembre 1909, art. 2). Les indigents récalcitrants à tout travail pouvaient même être contraints d’exécuter un travail dans un établissement spécialisé dans la mesure où cela était nécessaire pour faire cesser ou diminuer l’indigence (Loi du 8 novembre 1909, art. 37 alinéa 2). Cette possibilité n’a cependant jamais été mise en application, à notre connaissance, en particulier en raison de sa contrariété avec les conventions internationales réprimant le travail forcé. Dans le cadre de la codification des dispositions locales de l’aide sociale le principe d’une aide fournie sous forme de travail a été conservé, par contre la possibilité d‘imposer un travail a disparu. L’article L. 511-3 du CASE dispose qu’une des formes d’aides peut être la fourniture d‘un travail adapté aux capacités du demandeur.

En conclusion il peut être observé que le dispositif local d’aide sociale conserve toute sa place et son intérêt dans une politique sociale plus générale, et en particulier en ces temps de difficultés économiques et de dégradation du contexte social. Sa pleine efficacité est cependant freinée par une méconnaissance de la règlementation locale (en particulier dans les petites et moyennes communes tel qu’un sondage effectué par l‘IDL l’avait révélé), alors même que l’accès en est facilité par la codification des dispositions locales et que les besoins sont en augmentation constante.